Il n'y a bien entendu rien de choquant à ce qu'un syndicaliste s'engage en politique, mais l'annonce de la démission de Bruno Julliard sonne comme une mauvaise farce.
D'abord parce que l'ancien président de l'UNEF a cédé, durant le conflit contre le CPE, aux sirènes des plateaux de télévision, jouant le jeu de la médiatisation avec Julie Coudry, la présidente de la Confédération Etudiante.
A la starification des responsables syndicaux étudiants à l'oeuvre au printemps 2006 s'opposent les critiques antilibérales d'étudiants radicaux nourris des analyses d'Acrimed et du Plan B.
Dans les AG de 2006 comme dans celles de cet automne, les étudiants en lutte ont refusé la personnalisation des luttes collectives, en mandatant plusieurs porte-paroles, en imposant la rotation des mandats.
Dans le numéro de mai-juin 2006, nos amis du Plan B analysaient les deux logiques concurrentes des syndicats étudiants représentatifs et des coordinations étudiantes :
"Deux logiques s'opposaient donc : celle, radicale, des coordinations étudiantes, soucieuses, pour ne pas personnaliser une lutte collective, de ne pas propulser des porte-parole dans les médias ; et celle, contestée par la base, des organisations étudiantes représentées par des « vedettes » d'autant plus appréciées des journalistes qu'elles acceptaient toutes les mises en scène.
Lauréate de la CPE-académie : Julie Coudry. La porte-parole de la Confédération étudiante (émanation de la CFDT) surclassa ses concurrents grâce à une trouvaille de marketing, une casquette en velours qu'elle refusait d'ôter même sous la canicule des projecteurs.
La personnalisation ouvre la voie à la récupération. Elle permet aux médias de transformer une contestation en comédie, avec ses héros dépolitisés, ses intrigues, ses jeunes premiers et ses cocus. « On va recevoir un étudiant qui en l'espace de deux mois est devenu une véritable coqueluche des médias », aboie Marc-Olivier Fogiel en accueillant le président de l'UNEF, Bruno Julliard. Sitôt que ce dernier esquisse un raisonnement politique, l'animateur exige qu'il dévoile « la part de perso qui se joue là-dedans »."
Bruno Julliard a joué le jeu des médias, pour le meilleur et pour le pire, obtenant au passage une légitimité médiatique en plus de la légitimité institutionnelle de l'UNEF. Rien d'étonnant à ce qu'il soit insulté par les lecteurs du Figaro qui le traitent d'apparatchik. En acceptant la personnalisation d'une lutte collective, Bruno Julliard a transformé son combat de responsable syndical en aventure individuelle.
Erigé en icône du mouvement étudiant et fort de sa légitimité médiatique, le président de l'UNEF a participé aux négociations, début juillet, sur la loi LRU et a obtenu un certain nombre de concessions.
L'UNEF est évidemment hostile à la loi LRU et à ce qui ressemble fort à une privatisation programmée des universités, mais comment traduire cette hostilité en actes, quand le président du premier syndicat étudiant se retrouve sous les feux des projecteurs à débattre avec tout ce que les plateaux de télévision comptent d'"experts" à la Jacques Marseille et consorts ?
Au fond, Bruno Julliard s'est laissé piéger par la respectabilité conférée par sa notoriété acquise lors du combat contre le CPE et c'est ce qui explique les atermoiements de l'UNEF, qui pendant tout le mouvement étudiant, s'est refusée à exiger l'abrogation de la loi LRU.
L'annonce de la démission de Bruno Julliard n'est qu'un nouvel épisode d'une capitulation en rase campagne qui s'est en réalité jouée bien avant, dès lors que le président de l'UNEF, dès 2006, avait délaissé les AG pour les lambris des palais de la République et les flashs des projecteurs.
Alors que le mouvement étudiant s'effiloche, c'est désormais la crédibilité de l'UNEF comme syndicat ancré dans les luttes qui est en question et il y a fort à parier que les étudiants les plus radicaux se tourneront de plus en plus vers SUD Etudiant, très actif durant tout le mouvement.
Mais Bruno Julliard s'en moque et ne rendra pas de compte, Bertrand Delanoë lui a promis un poste d'adjoint...