Attac : le doute n'est plus permis

Rappel des faits : invités à renouveler le Conseil d'Administration de l'association à l'occasion de son Assemblée Générale, les adhérents d'Attac devaient voter par correspondance et désigner les membres actifs et les membres fondateurs du nouveau CA.
Pour faire vite, plusieurs des candidats déclarés soutenaient Jacques Nikonoff et l'actuelle direction d'Attac dans leur stratégie de renforcement "identitaire" et autonome d'Attac, tandis que d'autres avaient pris partie pour Susan George, Pierre Khalfa et Gustave Massiah qui soutenaient qu'Attac devait rester un "réseau" de convergence des luttes.
Les adhérents devaient donc voter en cochant sur leur bulletin les noms des candidats qu'ils voulaient élire, insérer leur bulletin de vote dans une enveloppe vierge et envoyer le tout dans une enveloppe sur laquelle leur nom et numéro d'adhérent étaient inscrits.
Au siège d'Attac, les enveloppes étaient triées par ordre alphabétique pour faciliter l'émargement avant d'être dépouillées.
Problème : faute de bénévoles venus dépouiller, l'organisation du dépouillement s'est faite dans la confusion et des enveloppes ouvertes sont restées toute une nuit dans une pièce sans surveillance, permettant ainsi selon toute vraisemblance à des individus de se glisser dans la pièce et d'échanger les bulletins de vote.
De fait, les résultats proclamés à l'issue de l'Assemblée Générale et qui confortent Jacques Nikonoff et son équipe sont très différents des résultats partiels diffusés au milieu du dépouillement, favorables à la liste de candidats soutenus par Susan George.
Trois groupes d'experts statisticiens indépendants se sont donc penchés sur les résultats des votes en se demandant comment expliquer une telle "aberration" statistique.
Leurs trois rapports ont été synthétisés par René Passet, le président d'honneur du conseil scientifique d'Attac ; ses conclusions sont sans appel : il y aurait 1 chance sur 1,7 millions pour que le retournement de situation ne soit pas le fait d'une manipulation, mais du simple hasard.
Attac, depuis sa fondation, mène, avec d'autres associations un combat pour reconquérir une hégémonie culturelle (http://fr.wikipedia.org/wiki/Hégémonie_culturelle) que les libéraux ont acquise à la fin des années 70 (http://www.monde-diplomatique.fr/2002/01/HALIMI/16021).
Ce combat intellectuel est tout à fait complémentaire du combat que mènent les communistes et tous les acteurs du mouvement social.
Mais comment les militants du mouvement social peuvent-ils se battre contre les libéraux de droite et de gauche et les nationalistes identitaires de l'extrême droite si même les organisations qui prétendent construire un autre monde sont l'enjeu de luttes de pouvoir qui atteignent un tel degré de gravité que leurs acteurs en viennent à bafouer l'éthique la plus élémentaire ?
Sans tomber dans un "basisme" simplificateur - après tout la plupart des membres des instances dirigeantes d'Attac et des autres organisations du mouvement social sont avant tout des militants venus de la base qui ne doivent leur fonction qu'à leur dévouement au service de leurs idées et de leur organisation - il est clair que le pouvoir est monté à la tête de certains des dirigeants altermondialistes.
La solution est-elle organisationnelle ? En partie sans doute et Attac devra peut-être réfléchir à formaliser des "tendances" ou à mettre en place une co-présidence de l'association pour éviter la personnalisation du pouvoir qui est en cause dans cette affaire.
En partie seulement parce qu'un des enjeux de la crise de l'association altermondialiste est de parvenir à ce que les cadres intègrent un certain nombre de principes éthiques qui échappent manifestement à certains d'entre eux.
Nos amis du Plan B (Serge Halimi, Gilles Balbastre, Pierre Rimbert, François Ruffin... pour ne citer qu'eux) ont pris ainsi l'habitude de ne jamais signer leurs articles. Comme les éditoriaux du Monde ou les articles de The Economist, les articles du Plan B engagent toute la rédaction du journal. Cette écriture collective est un des moyens, pour les militants du mouvement social, de se prémunir de la starification et de la personnalisation du pouvoir.
Dans notre Ve République présidentielle arbitrée par les médias, il n'est pas facile pour les militants du mouvement social d'inventer des formes nouvelles d'organisation et de communication efficaces et qui ne trahissent pas nos valeurs.
La droite, l'extrême droite et les sociaux-libéraux ne se posent pas ce genre de questions.
Tant pis pour eux... mais c'est le devoir de tous les militants progressistes de chercher à y apporter des réponses.