Tous réacs ?

La journaliste d'Enjeux Les Echos est venue nous interviewer quelques camarades et moi et je suis assez effondré par le résultat. Il faut dire que le camarade dont les propos ont été retenus servait à merveille la thèse défendue par la journaliste : le Front National prospère grâce au chômage et aux difficultés sociales et ses idées se répandent.
Il faut aller plus loin et le reste du magazine est tout aussi intéressant. On relève entre autres chiffres éloquents qu'en 1989, 29 % des Français estimaient que le RMI risquait d'inciter les bénéficiaires à s'en contenter et à ne pas chercher de travail. En 2003, ils étaient 53 % à le penser ! Début 2006, 67 % des Français considéraient que "si la plupart des chômeurs le voulaient vraiment, beaucoup pourraient retrouver un emploi". C'est 10 % de plus qu'en 1998.
Qu'est-ce que ces chiffres signifient ? Tout simplement qu'il y a bel et bien eu un recul de la conscience de classe, pour reprendre une terminologie marxiste.
Ce recul de la conscience de classe parmi les classes populaires est le résultat de 30 ans de politiques favorables au capital qui ont fragmenté le salariat pour des raisons autant économiques que politiques et idéologiques.
En clair, à partir des années 70, le chômage de masse a créé une armée de réserve fort utile aux capitalistes pour faire pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail et pour affaiblir les organisations ouvrières. L'intérim, les CDD, le temps partiel subi, le recours à la sous-traitance ont fragmenté la classe ouvrière.
Un ouvrier de Faurecia, un professeur et une caissière de supermarché appartiennent tous les trois à la classe ouvrière, mais ils n'en ont plus forcément une conscience nette.
Parallèlement à ce phénomène de fragmentation de la classe ouvrière, la droite et l'extrême droite ont mené une offensive idéologique visant à dissocier les travailleurs et à les opposer entre eux. Ce sont les travailleurs français et les travailleurs étrangers que l'on oppose, ce sont les travailleurs du public et du privé que l'on dresse les uns contre les autres.
A chaque fois, il s'agit pour la droite et l'extrême droite de diviser la classe ouvrière et de détourner sa colère contre elle-même. Au lieu de pester contre les privilèges réels des capitalistes, les travailleurs du privé s'en prennent aux privilèges imaginaires des fonctionnaires, les smicards s'en prennent aux privilèges tout aussi imaginaires des rmistes qui s'en prennent eux aussi aux privilèges des étrangers.
Il s'agit - et je l'ai expliqué à la journaliste d'Enjeux Les Echos venue nous interviewer - d'une offensive de la droite et de l'extrême droite pour conquérir l'hégémonie culturelle.
Face à cette offensive, c'est une erreur politique majeure de renoncer à nos principes et à nos valeurs, en acceptant par exemple la mise en place de mesures sécuritaires ou en enterrant certaines revendications parfaitement justes comme celle du droit de vote des étrangers aux élections locales.
La tâche des militants communistes est loin d'être simple, mais elle est à notre portée : pour obtenir de nouveaux droits et construire ensemble une société plus juste, nous devons dénoncer les stratégies de division de la droite et de l'extrême droite, et reconquérir l'hégémonie culturelle pour faire avancer la conscience de classe, car c'est la conscience de classe qui sous-tend les luttes qui pourront déboucher sur les changements politiques de demain.