Le Pen père a Roubaix dans le viseur

Publié par David NOËL sur 20 Avril 2011, 05:30am

Dans une interview donnée à « France Soir », l'ex-président du Front national fait de Roubaix une ville à majorité maghrébine pour mieux dénoncer les dangers du communautarisme. Réactions sur une statistique dont on se demande encore d'où elle vient.

Publié le mardi 19 avril 2011 à 06h00 - YOUENN MARTIN > youenn.martin@nordeclair.fr

L'interview, parue hier matin, portait à l'origine sur les relations entre Jean-Marie Le Pen et ses trois filles. Mais le journaliste de France Soir a tendu une perche magnifique à l'ancien leader du Front national : « Condamnez-vous le communautarisme ? » On imagine mal Le Pen père répondre non : « Savez-vous qu'il y a des villes en France qui sont déjà majoritairement étrangères ? Roubaix, 60 % d'immigrés maghrébins ! Si vous attendez le jour où ça brûle pour en prendre conscience, il sera un peu tard. » Et voilà Roubaix de nouveau au centre d'une polémique dont elle se serait bien passée.

Quel pourcentage de métissage ?

Certains y ont vu un énième dérapage de Jean-Marie Le Pen, là où sa fille tente d'aseptiser le discours du FN. Pourtant, Françoise Coolzaet, ex-candidate frontiste aux récentes élections cantonales, assume pleinement : « Je ne considère pas ça comme un dérapage. Il suffit de constater, on n'est pas aveugle. Il y a un communautarisme, ça s'est durci. » Elle-même admet qu'il peut y avoir un doute sur la statistique de 60 %, mais peu importe : « Pas besoin de statistiques pour voir qu'ils font la pluie et le beau temps ! » Le chiffre mérite pourtant qu'on s'y arrête. Dans sa réponse, Jean-Marie Le Pen mélange allégrement population étrangère et population d'origine étrangère. « Que l'on soit une ville diverse, métissée, c'est certain, répond Pierre Dubois, le premier adjoint socialiste. Mais les derniers chiffres que j'ai, c'est que dans 39 % des ménages roubaisiens, un des deux conjoints au moins est d'origine étrangère. Et parmi eux, la moitié vient du Maghreb. Les Roubaisiens de nationalité étrangère, eux, sont moins de 20 %. » Max-André Pick, leader de l'opposition UMP, s'interroge : « On est d'origine étrangère pendant combien de temps ? Combien faut-il de générations ? J'ai un grand-père étranger, suis-je plus ou moins français qu'un petit Roubaisien de la quatrième génération de l'immigration maghrébine ? »

« C'est quoi la suite ? »

La question du repli communautaire reste cependant brûlante à Roubaix : il y a des débordements en marge des matchs de foot de l'Algérie, des cortèges de mariage qui se fichent du code de la route tout en affichant des drapeaux de pays du Maghreb. « Je peux comprendre que ces débordements énervent, mais il n'y a pas une volonté d'agression permanente, réplique Pierre Dubois. Et l'ordre public s'impose à tout le monde, quelle que soit la couleur de peau. » « Il faut combattre deux sentiments : celui d'exclusion et de repli communautaire d'un côté et celui de peur de l'envahissement de l'autre, réagit Max-André Pick. Une fois qu'on a dit qu'un Roubaisien sur deux était maghrébin, on propose quoi ? C'est quoi la suite ? On fait des rafles en fonction des patronymes ? Ça n'a pas de sens. » Hélas, notre confrère de France Soir n'a pas poursuivi sur le sujet avec son interviewé.

Un chiffre sorti de nulle part... ou des blogs d'extrême droite

Où Jean-Marie Le Pen est-il allé chercher ce chiffre de 60 % d'immigrés maghrébins à Roubaix ? On a une petite idée : sur les blogs d'extrême droite qui font tourner depuis 10 ans l'interview bidonnée d'un pseudo-sociologue... Quand on l'interroge sur la petite phrase de l'ancien chef du FN, le Vert Ali Rahni préfère ironiser : « Je ne savais pas qu'il travaillait à l'Insee... » De fait, ce chiffre de 60 % n'est pas une statistique officielle. Par contre, on sait qu'il circule sur les sites Internet d'extrême droite. Nous y avions consacré un article le 19 novembre dernier : il provient d'une interview datant de 1996, parue dans un livre de Philippe Aziz, Le Paradoxe de Roubaix. Mohamed S., soi-disant sociologue roubaisien, affirmait sans rire que Roubaix était une ville à majorité musulmane, que son prochain maire serait musulman et qu'il obtiendrait qu'on y applique la charia. Problème : ce sociologue n'apparaît que dans le livre de Philippe Aziz, celui-ci n'a jamais prouvé son existence et nous, journalistes locaux, ne l'avons jamais croisé à Roubaix. Mais même l'encyclopédie en ligne Wikipédia, tient pour vrai cette statistique de 60 % ...

Même gêne quand Françoise Coolzaet dénonce le fait que la mairie « arrose de subventions les associations qui s'occupent des musulmans ».On lui demande de préciser lesquelles : elle cite Rencontre et Dialogue, alors que celle-ci n'est plus subventionnée, et les associations... de hip-hop. Peu importe la véracité des faits quand on pense son combat juste ? Françoise Coolzaet est aussi persuadée que la prophétie de Mohamed S. va se réaliser avec seize ans de retard : « Le prochain maire de Roubaix sera musulman », assure-t-elle. Son nom : « Mehdi Massrour ». On lui fait remarquer que l'on ignore la pratique religieuse du conseiller général de Roubaix-est, qu'il n'a jamais fait campagne sur ses origines et que sa mère s'appelle Josette. Peu importe, elle persiste. Pour ripoliner le discours de son parti, Marine Le Pen a encore du boulot.

Y.M.

Source : Nord Eclair
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